samedi 13 juin 2009

Halte à la torture !


Mais au juste, c'est quoi la torture ?

La torture est l'imposition volontaire de sévices d'ordre physique ou psychologique qui vise à faire souffrir un individu. Lorsque la torture accompagne l'exécution d'une condamnation à mort il est plutôt question de supplice, qui rend la mort longue et douloureuse sous forme de châtiment.

La torture est aussi un moyen employé pour obtenir des aveux ou terroriser des populations ou des organisations, en ciblant des membres d'un groupe de personnes particulier, afin que les autres restent passifs de peur d'être victimes à leur tour. Les actes de torture produisent le plus souvent des séquelles physiques (ex : mutilations) et psychologiques (ex : traumatismes). Du point de vue du tortionnaire (ou bourreau), qui tient sa victime à sa merci, torturer peut répondre à des pulsions sadiques ou simplement s'inscrire dans la soumission à l'autorité (expérience de Milgram) ou encore un simple amusement.

La Déclaration universelle des droits de l'homme (DDHC), adoptée le 10 décembre 1948 par l'ONU, est le premier texte international à déclarer illégale la torture, dans son article 5 : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Les quatre Conventions de Genève adoptées en 1949 et leurs Protocoles additionnels (1977) prohibent la torture (qui ne s'identifie pas, malgré les ressemblances et les zones d'indiscernabilité, à la notion de « peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant »). D'autres textes internationaux ou régionaux l'ont, dans les années suivantes, interdite également. Le premier est la Convention européenne des droits de l'homme, adoptée en 1951 par le Conseil de l'Europe, qui est le premier traité interdisant la torture (article 3).

De plus, la CEDH a récemment validé le mécanisme français de compétence universelle pour la répression d’actes de torture (CEDH, déc., 17 mars 2009, Ould Dah c/ France, req. n° 13113/03). C'est une avancée historique selon Olivier Bachelet (spécialiste en droit pénal), dans une analyse que je mets à la disposition des lecteurs de mon blog. 
Ainsi, l’arrestation à Londres, le 16 octobre 1998, de l’ancien dictateur chilien Augusto PINOCHET, a constitué un tournant dans l’attitude – jusque là passive – adoptée par la communauté internationale face aux crimes les plus graves. Or, si cette arrestation a pu avoir lieu, c’est grâce à l’intégration dans la législation britannique du système de la compétence universelle, notamment prévu par la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée par l’assemblée générale des Nations-Unies, à New-York, le 10 décembre 1984. L’on comprend alors l’espoir suscité par ce mécanisme afin de lutter contre l’impunité des crimes les plus abjects.

Encore faut-il, toutefois, que la compétence universelle soit, elle-même, respectueuse des droits et libertés fondamentaux, tant il est vrai que, comme le prévoit l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, toute société dans laquelle la garantie des droits, y compris ceux des plus vils criminels, n’est pas assurée « n’a point de Constitution ». C’est précisément sur cette question que s’est prononcée la Cour européenne des droits de l’Homme dans sa décision OULD DAH c/ France rendue le 17 mars 2009.

En l’espèce, le requérant, ancien officier de renseignements à l’état-major de Nouakchott, en Mauritanie, avait fait l’objet de poursuites pénales en France du chef de tortures et actes de barbarie qu’il aurait commis en Mauritanie en 1990 et 1991, au moment où des affrontements opposaient des Mauritaniens d’origine arabo-berbère à d’autres appartenant à des ethnies d’Afrique noire. Bien que bénéficiant d’une loi mauritanienne d’amnistie, adoptée en 1993 au profit des membres des forces armées et de sécurité auteurs des infractions commises entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992, Ely OULD DAH fut interpellé en France pour les faits susmentionnés, suite à une plainte avec constitution de partie civile formée à son encontre par la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et la Ligue des droits de l’Homme en 1999.

Au terme d’une longue procédure, le requérant fut finalement condamné par la Cour d’assises du Gard, le 1er juillet 2005, à dix ans de réclusion criminelle pour tortures et actes de barbarie et complicité du même crime, l’arrêt se fondant notamment sur les articles 303 et 309 de l’ancien Code pénal et 222-1 du Code pénal, ainsi que sur la Convention de New-York précitée.

Considérant qu’il ne pouvait prévoir que la loi mauritanienne serait ainsi écartée au profit de la loi française, que cette dernière n’érigeait pas la torture en infraction autonome à l’époque des faits et que les dispositions du Code pénal actuel lui avaient été appliquées rétroactivement, M. OULD DAH décida alors de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme d’une requête fondée sur la méconnaissance de l’article 7, § 1er, de la Convention européenne.

Néanmoins, dans une décision du 17 mars 2009, la Cour de Strasbourg conclut à l’irrecevabilité de la requête pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35, §§ 3 et 4, de la Convention. De la sorte, les juges européens admettent, d’une part, la compétence de la France pour juger les faits litigieux (I) et, d’autre part, la suffisante prévisibilité de la loi française relative à la définition et à la répression des actes de torture (II).

I/ La compétence justifiée de la France pour juger les actes de torture

En France, le principe de la compétence universelle est posé par l’article 689-1 du Code de procédure pénale. Selon ce texte, les juridictions répressives françaises peuvent poursuivre et juger l’auteur d’une infraction pénale commise à l’étranger, par un étranger, à l’encontre d’un étranger et sans que les intérêts de la France soient en jeu, à condition que le suspect se trouve sur le territoire de la République au moment du déclenchement des poursuites et que celles-ci interviennent en application de certaines Conventions internationales énumérées, pour l’essentiel, dans les articles 689-2 à 689-10 du Code de procédure pénale. Dans la présente affaire, ces conditions étaient bien réunies : d’une part, l’officier mauritanien avait bien été poursuivi et arrêté en France, bien que jugé par défaut ; d’autre part, cette procédure avait été mise en œuvre en application de la Convention de New-York, entrée en vigueur le 26 juin 1987, l’Etat français ayant transposé ce texte international par la loi no 85-1407 du 30 décembre 1985 qui, à cette fin, a inséré un article 689-2 dans le Code de procédure pénale.

En déclarant, en l’espèce, irrecevable la requête de M. OULD DAH, la Cour européenne admet donc la conventionnalité du système de la compétence universelle, comme elle avait déjà pu le faire dans une décision JORGIC c/ Allemagne du 12 juillet 2007 (req. n° 74613/01), relative à la répression des crimes de génocide. Il convient de noter qu’au soutien de son argumentation, la Cour de Strasbourg indique que l’interdiction de la torture occupe une place primordiale dans tous les instruments internationaux de protection des droits de l’Homme et qu’à cet égard elle a valeur de norme impérative, c’est-à-dire de jus cogens (voir, également : CEDH, 21 novembre 2001, AL-ADSANI c/ Royaume-Uni, req. n° 35763/97, § 60). C’est précisément en raison de cette impérativité que les juges européens admettent le recours à la compétence universelle, le jus cogens constituant, en quelque sorte, le fondement juridique d’une obligation positive de poursuite à la charge des Etats en matière d’actes de torture. Les députés français devront donc garder à l’esprit la décision OULD DAH c/ France et l’obligation de poursuite qu’elle sous-tend, lors de l’examen du projet de loi portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale, déjà adopté par le Sénat le 10 juin 2008, et qui, bien qu’étendant la compétence universelle du juge français à tous les crimes relevant de la compétence de cette Cour, en limite considérablement l’exercice, notamment en confiant au ministère public le monopole des poursuites et en imposant une condition de double incrimination dans le cas où l’Etat normalement compétent n’est pas partie au statut de la Cour pénale internationale.

La compétence des juridictions répressives françaises étant admise, il fallait ensuite déterminer si elle devait emporter la compétence de la loi pénale française, alors qu’une loi mauritanienne d’amnistie avait été adoptée en 1993 au profit des membres des forces armées et de sécurité, auteurs des infractions commises entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992. Il est vrai que les Etats bénéficient d’une immunité en cas d’actions civiles en réparation pour des actes de torture qui auraient été perpétrés en dehors de la loi de l’Etat du for, mais en l’espèce la situation est bien différente. En effet, il n’est pas question d’immunité d’un Etat en cas d’action civile d’une victime de mauvais traitements, mais de responsabilité pénale d’une personne pour des actes de torture. Or, selon la Cour européenne, « l’impérieuse nécessité de l’interdiction de la torture et de la poursuite éventuelle des personnes violant cette règle universelle, ainsi que l’exercice par un Etat signataire de la compétence universelle prévue par la Convention contre la torture, seraient vidées de leur substance s’il fallait retenir seulement la compétence juridictionnelle de cet Etat sans pour autant admettre l’applicabilité de la législation pertinente dudit Etat ».

En faisant de l’interdiction de la torture une « impérieuse nécessité », une « règle universelle » qui fonde un véritable « devoir » des Etats d’enquêter sur de tels actes, en dehors même de tout lien conventionnel, la Cour de Strasbourg admet la nécessaire applicabilité de la loi de l’Etat exerçant la compétence universelle. De la sorte, les juges européens renforcent considérablement les obligations issues de la Convention de New-York, tout particulièrement en matière de compétence universelle. En effet, l’objectif principal poursuivi par cette Convention est d’assurer l’effectivité de l’interdiction de la torture, en permettant à un Etat de juger des tortionnaires qui ne seront autrement jamais poursuivis, du fait de l’impunité régnant dans le pays de commission, de nationalité de l’auteur, ou de la victime de l’acte. Or, les lois d’amnistie constituent, dans la plupart des cas, des obstacles délibérés à l’exercice d’une quelconque justice, et non le moyen de reconstruire un pays comme le soulevait le requérant en l’espèce. La Cour affirme ainsi que « l’amnistie est généralement incompatible avec le devoir qu’ont les États d’enquêter » sur des actes de torture, mais prend le soin, au terme d’une argumentation motivée, de préciser que ce devoir pourrait éventuellement être entravé par une loi d’amnistie étrangère ayant pour objet réel la mise en œuvre d‘un processus de réconciliation, objet dont était dépourvue, en l’espèce, la loi d’amnistie mauritanienne. Cette décision doit donc être largement approuvée dans la mesure où la solution contraire aurait été interprétée comme un véritable « feu vert » donné à tous les dictateurs pour faire passer des lois d’amnistie dans leurs pays (voir les déclarations de P. BAUDOUIN, président d’honneur de la FIDH, Le Monde 1er avril 2009, p. 8).

II/ La prévisibilité suffisante de la loi pénale française

Après qu’ait été admise l’applicabilité de la loi pénale française aux faits de l’espèce, il convenait de s’interroger sur la satisfaction par cette loi des « qualités » requises par le droit européen, en particulier de l’exigence de prévisibilité. En effet, le principe de légalité, « élément essentiel de la prééminence du droit » (CEDH, 22 novembre 1995, S. W. c/ Royaume-Uni, n° 20166/92, § 34), interdit « d’étendre le champ d’application des infractions existantes à des faits qui, antérieurement ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, par exemple par analogie » (CEDH, 25 mai 1993, KOKKINAKIS c / Grèce, n° 14307/88, § 52). Cette question s’est posée, en l’espèce, parce que les faits reprochés au requérant s’étaient déroulés avant l’entrée en vigueur du Code pénal actuel, donc à une époque où la torture et les actes de barbarie ne constituaient pas une infraction distincte mais une simple circonstance aggravante (article 303 de l’ancien Code pénal). C’est pourquoi, la Cour d’assises du Gard avait également visé l’article 309 de l’ancien Code pénal qui incriminait les coups et violences volontaires, tout en faisant mention de l’article 222-1 du Code pénal actuel qui incrimine désormais la torture et les actes de barbarie. Le requérant soutenait donc qu’il y avait eu violation de l’article 7, § 1er, de la Convention européenne en ce qu’il avait été condamné du chef d’une infraction qui n’existait pas au moment des faits.

Néanmoins, la Cour européenne estime qu’il ne s’agissait pas là de « l’apparition d’une nouvelle infraction » mais d’un simple « aménagement législatif », dès lors qu’il existait déjà un texte spécial « entraînant une peine supérieure à celle prévue pour l’infraction principale » et que l’expression « torture et actes de barbarie » conservait le même sens. La Cour estime donc qu’au moment où elles ont été commises, les actions du requérant constituaient bien des infractions définies avec suffisamment d’accessibilité et de prévisibilité d’après le droit français et le droit international. Dès lors, le requérant pouvait raisonnablement, au besoin à l’aide d’un avis juridique éclairé, prévoir le risque d’être poursuivi et condamné pour les actes de torture qui lui étaient reprochés. Si cette décision doit être approuvée en raison de la continuité dans le temps de l’incrimination des actes de torture, il reste à formuler un regret : l’absence de référence au § 2 de l’article 7 de la Convention qui stipule que le principe de légalité « ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux du droit reconnus par les nations civilisées ». Les actes de torture entrant logiquement dans le champ d’application de cette exception (voir, notamment : CEDH, 7 juillet 1989, SŒRING c/ Royaume-Uni, req. n° 14038/88, § 88), il est étrange que la Cour ne l’ait pas employée dans son raisonnement.

Outre la question de la prévisibilité des textes incriminant les actes de torture, une difficulté existait quant à la répression de ces actes. En effet, l’article 222-1 du Code pénal se distingue des textes précédents par les peines prévues au titre de l’infraction qu’il sanctionne, ces dernières pouvant atteindre quinze ans de réclusion criminelle, là où l’application au cas d’espèce des articles 303 et 309 de l’ancien Code pénal ne pouvait donner lieu, au maximum, qu’à une peine de cinq à dix ans de réclusion criminelle. Dès lors, il n’est pas contestable, sur ce point, que la nouvelle disposition pénale issue du Code pénal actuel est plus sévère, s’agissant des peines prévues, que la combinaison des dispositions anciennes. Pour éviter ce grief, la Cour d’assises du Gard, bien qu’appliquant la qualification de torture en tant qu’infraction autonome prévue par l’article 222-1 du Code pénal, avait choisi une peine de dix ans de réclusion criminelle, durée qui ne dépassait donc pas le maximum encouru aux termes des anciennes dispositions.

Bien lui en a pris puisque, pour considérer que l’article 7, § 1er, de la Convention n’avait pas été méconnu, la Cour européenne indique qu’en dépit de la mention expresse de l’article 222-1 du Code pénal dans l’arrêt de condamnation, la peine la plus forte encourue au regard de cette nouvelle disposition n’a pas été appliquée au requérant, qui a donc subi une peine n’ayant pas dépassé le maximum encouru au moment des faits. Cette solution, qui s’inspire largement de la théorie de la « peine justifiée » appliquée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation (voir, par exemple : Cass. crim., 18 mai 2005, 04-84.949), signifie implicitement que, si les peines prononcées par la Cour d’assises avaient dépassé le quantum prévu avant l’entrée en vigueur de l’article 222-1 du Code pénal actuel, la Cour de Strasbourg n’aurait pas hésité à prononcer, à l’encontre de la France, un constat de violation du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et, partant, du principe de la légalité criminelle, au regard de l’article 7, § 1er, de la Convention européenne.